La Esmeralda à Besançon
Le 19 février vous avez donné au Théâtre-Opéra de Besançon La Esmeralda, opéra de Louise Bertin , livret de Victor Hugo d’après Notre-Dame de Paris. Créée le 14 novembre 1836 à l’Académie royale de musique, l’œuvre était tombée après la sixième représentation pour diverses raisons. Vous avez donc ressuscité cet opéra. Qu’est-ce qui vous a donné l’idée de monter cette œuvre ?
Arnaud Laster. Il m’en avait tellement parlé… Dès que j’ai pris connaissance de la partition, j’ai pensé que l’œuvre valait la peine d’être réhabilitée.
A la lumière de la correspondance de Hugo avec Louise Bertin, on s’aperçoit que la musicienne donnait à son librettiste des directives strictes. Elle lui envoyait des schémas très précis qu’il devait suivre : sur le nombre de syllabes et les rimes notamment. Est-ce que c’était une pratique habituelle ou est-ce que cette exigence est particulière à la manière de composer de Louise Bertin ?
Non, Louise Bertin ne se distingue pas des autres musiciens en cela. C’était habituel. C’est très contraignant mais est-ce que c’est plus contraignant que l’habitude des timbres ? Une vieille tradition française qui consiste à écrire des chansons sur des airs donnés…
Louise Bertin avait l’inconvénient d’être la fille du directeur du Journal des débats, que beaucoup de contemporains haïssaient, en particulier à cause de ses opinions orléanistes ; le livret est sulfureux : un prêtre amoureux en est le personnage principal ; et même si la censure a demandé de supprimer le mot prêtre dans le livret, les spectateurs connaissaient le roman…et, surtout, Louise était une femme. Hugo était persuadé, d’ailleurs, que la misogynie était pour beaucoup dans la chute de l’opéra…
Hugo en était persuadé ? J’avais l’impression que la misogynie restait très masquée…y compris dans les critiques… elle transparaît surtout dans les articles disant que la musicienne était un amateur… Manière détournée de s’en prendre à la femme. On a dit qu’elle n’avait pas étudié la composition alors qu’elle avait étudié avec Reicha. Et on a passé sous silence ses études. Pourtant, quand on regarde son travail, la propreté de sa partition et l’attention avec laquelle elle compose, on s’aperçoit qu’elle est, au contraire, très professionnelle. Vraiment, l’amateurisme, on ne le voit pas ! Ca, c’est très grave et c’est là qu’on pouvait faire mal : « C’est une femme, donc c’est un amateur ».
Berlioz et Liszt, eux, ont été très impressionnés par la musique de Louise Bertin…
Meyerbeer aussi…il a essayé de promouvoir son opéra en Allemagne.
Berlioz, Liszt, Meyerbeer…Louise était appréciée par les vrais connaisseurs. Comme elle était handicapée, Berlioz a dirigé les répétitions de La Esmeralda et Liszt en a fait une réduction pour piano et chant. C’est la version que vous avez donnée à Besançon. Ce parrainage prestigieux, loin d’aider Louise Bertin, lui a nui puisqu’on a été jusqu’à dire que Berlioz avait retouché la partition et qu’il était l’auteur de nombreux passages. Ce qu’il a farouchement nié, même en privé : il écrit à sa sœur que sa seule contribution a consisté à conseiller à Louise une meilleur fin pour l’air des cloches de Quasimodo : « ma collaboration s’est bornée à indiquer à l’auteur une péroraison plus digne de l’exorde »
Le conseil doit être à mon avis d’introduire des triolets à la fin de l’air de Quasimodo. Ce qui est simplement un conseil de collègue à collègue…
Ce qui est extraordinaire, c’est que cette calomnie continue aujourd’hui. D’une part dans une biographie récente…, d’autre part dans un texte qui figurait dans le programme de Besançon…
C’est de la pure misogynie et c’est une misogynie assez méchante. Ce n’est même pas la peine de trop étudier ce genre de choses car c’est bête. Avant tout…
Qu’est-ce qui vous paraît original, à vous, en tant que musicienne, dans la partition de Louise Bertin ?
Là où, justement, elle n’est pas du tout amateur, c’est dans le soin qu’elle met à indiquer des nuances dans les parties chantées. En dehors du rythme qu’on lui a reproché… et des ruptures de rythme abruptes, on lui a reproché aussi de ne pas respecter les carrures, rendant la chose plus difficile à apprendre pour les chanteurs. Et c’est vrai que même aujourd’hui de temps en temps, même quand on regarde la partition, il faut faire attention…paf !…il y a une mesure de moins. La carrure de quatre… de quatre sur quatre…qui tient la musique occidentale, y compris le jazz, complètement prisonnière, elle la rompt régulièrement. Et cette rupture, j’ai eu l’impression qu’elle essayait de l’introduire dans le vers de Hugo et dans le rythme général de la carrure. Berlioz, qui lui aussi a cassé ce rythme, le lui a pourtant reproché !
C’est donc voulu par elle, cette rupture …
Oui… car il n’y a rien de plus facile pour un musicien que de respecter la carrure…pour nous tous c’est ce qu’il y a de plus idiot à faire…
Et pourquoi ce reproche de la part de Berlioz puisqu’il a fait la même chose ?
C’est un peu la paille et la poutre…(rire) Je crois qu’il le lui reprochait aussi en connaissance de cause…parce qu’il cherchait des effets similaires. Il trouvait que lui-même l’avait fait…trop. Autre originalité de Louise : dans les nuances du chant. Dans le style vocal, elle réclame des soufflets qui ne sont pas élégants. Par exemple, elle indique vraiment des soufflets vers le haut. Là c’est l’équilibre classique qui se rompt. Pour aller vers plus de théâtralité. Six ans après la bataille d’Hernani, elle fait sa bataille romantique en musique. Par rapport à Hugo, elle a essayé d’introduire dans son chant un certain mauvais goût… ce que voulaient les romantiques…
Ce que les tenants du classicisme appellent mauvais goût…
Oui, bien sûr ! Elle a essayé d’introduire dans son chant des distorsions, des choses plus violentes…Et ça, je crois qu’elle l’a vraiment travaillé.
Avez-vous l’impression qu’elle s’est efforcée de faire entendre le texte ?
Je crois… bien qu’on ait reproché à l’orchestre de couvrir les voix. Moi, je n’ai pas entendu l’opéra avec orchestre ; donc je ne peux pas me prononcer sur ce point. En ce qui concerne les airs, oui, il y a un grand respect de la prosodie et Louise reste très proche du texte qu’on entend parfaitement. En revanche, en ce qui concerne les ensembles, c’est toujours pareil… c’est difficile…parce que souvent on entend une seule partie et les autres sont un peu sacrifiées. Frollo, dans les ensembles, a parfois du mal à faire entendre son texte, mais malgré tout, il y a toujours un moment où il est seul et où il peut se faire entendre à l’intérieur même de l’ensemble… Il pouvait y avoir des moments difficiles avec les cuivres… mais ça ne pouvait pas être pire que Wagner…et on n’a jamais reproché à Wagner d’être inintelligible alors que de temps en temps… lorsque les cuivres s’y mettent… (rire)
C’est donc plutôt bien écrit pour la voix…
Oui. En tout cas c’est écrit avec vraiment beaucoup d’attention et vraiment avec un style vocal dans l’oreille. Elle connaissait très bien l’opéra. Elle les a tous entendus…ou presque. Je crois… c’est une impression…qu’elle aimait beaucoup Don Giovanni. Elle aimait beaucoup Mozart. En découvrant sa façon d’écrire les nuances, la précision des nuances… souvent je me suis dis : tiens… elle a regardé la partition de Don Giovanni. Et aussi ce début, tout de suite dramatique…comme Don Giovanni… on entre immédiatement dans le drame avec cette cour des miracles. Ca démarre très fort.
Et est-ce que vous voyez des rapprochements avec d’autres musiciens ? Des contemporains ?
On lui a dit, à l’époque, qu’elle suivait le style allemand, ce qui était très mitigé, comme compliment. Forcément… c’était une élève de Reicha…qui était quelqu’un de très pointilleux… Donc elle devait connaître Gluck, Beethoven, bien sûr…
Moi, j’ai trouvé que la musique annonçait Bizet par moments…
Oui… D’ailleurs le personnage d’Esmeralda a quelque chose de Carmen.
Avec des petites nuances, tout de même, on va y revenir en parlant de la mise en scène…
En tout cas c’est une autre question : celle de l’influence de La Esmeralda. On a dit : ça a été un échec, donc on l’enterre. Or, elle a pu influencer des musiciens, qui ont pu connaître son œuvre à travers la réduction pour piano de Liszt. C’était donc une bonne idée de faire cette version…
Pour en revenir à Carmen… J’ai trouvé que dans la mise en scène de Jacques Connort, qui par ailleurs a des qualités, il en faisait trop une Carmen, justement. Pourtant, même si elles ont des points communs –danseuses des rues, d’une beauté extraordinaire qui provoque le désir des hommes-, Carmen est une femme libre qui provoque, qui est volontairement séductrice, alors qu’Esmeralda est naïve, c’est une enfant. Elle séduit sans l’avoir cherché…
Jacques Connort –vous pouvez ne pas être d’accord avec son interprétation- a été très attentif au roman et au livret et il a voulu rester très fidèle à Hugo. Je crois que Hugo a lui-même transformé Esmeralda dans le livret…
Pas à ce point…C’est, dans le livret comme dans le roman, une sauvageonne. Elle ne s’attend pas aux catastrophes que provoque sa séduction… elle en est victime… comme Carmen, mais elle n’a rien fait pour s’attirer tous ces ennuis… sauf tomber amoureuse du bellâtre qu’est Phoebus, totalement modifié, lui , dans le livret.
C’est pour cela qu’on ne pouvait pas garder Esmeralda comme elle est dans le roman… On était obligé de la faire beaucoup moins naïve face à Phoebus…puisque Phoebus lui-même n’est pas cette espèce de porc qu’il est dans le roman.
Elle est tout de même très séductrice, dans la mise en scène. Pas farouche pour deux sous ni timide…elle en fait beaucoup…
Elle danse !
Pas uniquement…elle va chercher un matelas, s’y vautre avec beaucoup de gestes éloquents et y attire Phoebus…pour ne donner qu’un exemple. Dans le livret, quand Phoebus la courtise pour la première fois, elle lui oppose un refus répété et au moment du rendez-vous fatidique, elle lui demande, confuse, à plusieurs reprises, de ne pas trop s’approcher d’elle, et elle vient de lui refuser un baiser au moment où Frollo le poignarde. En fait, elle est même plutôt plus farouche que dans le roman… Il y a beaucoup de contradictions avec le texte dans la mise en scène… Aux moments où elle dit non, elle attire Phoebus à elle…
Oui… Mais ça c’était en toute conscience : que le texte dise une chose, que la mise en scène dise une chose et que la musique dise une troisième chose…C’était un parti pris… Ce n’était pas par ignorance de ce que disait le texte. Et Anne non plus ne savait pas quoi faire de ce texte…Car aujourd’hui essayez de mettre en scène un trio comme celui-là où la soprano n’arrête pas de dire : non, non, non ! Où est-ce qu’on va ? (rire) Surtout que la musique dit quand même autre chose. D’ailleurs j’ai dit : la musique dit une troisième chose, c’est faux. Ils font plutôt ce que la musique dit. Car au moment où elle dit ça, en même temps la musique monte, monte, monte…il y a une espèce de pont en si majeur … ça va …ça va vers un orgasme qui est le moment où Frollo tue Phoebus. C’est un petit peu cela que Jacques a voulu montrer, en plein accord avec la musique.
D’accord…qu’il y ait une sensualité qui va au-delà des mots, et même par moments qui passe par les mots, c’est exact, malgré le « non ! » Que la musique intensifie encore cette sensualité, c’est vrai aussi. Mais je trouve tout de même qu’Esmeralda, à ce moment-là, en fait tout de même un peu trop…
A ce moment-là (riant) je dois dire que j’étais penchée sur mon piano et je ne faisais pas trop attention à ce qu’ils faisaient ! Il faut dire que Didier Brunel, le directeur de l’Opéra, m’avait confié un excellent Steinway.
On vous doit d’avoir exhumé cette œuvre dont jusqu’ici, à ma connaissance, seuls le récitatif et le grand air de la scène 2 de l’acte I de Claude Frollo, enregistrés pour une émission de radio, ont été diffusés plusieurs fois. Et on a pu constater la beauté et l’originalité de cette œuvre. Mais on aimerait, bien sûr, entendre un jour la version avec l’orchestre, qui est, paraît-il, d’une richesse exceptionnelle avec beaucoup de cuivres et de percussions, et puis les chœurs….Est-ce que vous pensez que ça pourra se faire un jour ?
Ca, ce n’est pas moi qui ai les sous pour faire ce genre de choses… Il faudrait qu’on puisse le refaire…qu’un metteur en scène, un chef d’orchestre et un directeur de théâtre s’y intéressent. Qui auraient les moyens de le faire. Mais pour le moment, avant de sortir les gens de leur misogynie, il y a du boulot…
Est-ce que vous avez comparé la partition de Liszt avec la partition originale ?
C’est très fidèle. Alors que Liszt ne se gênait pas pour faire des paraphrases, il en était tout à fait capable… Mais là, pas du tout. Je vais donner prochainement, pour un concert Hugo, des réductions pour piano de Verdi. Ce n’est pas de ce niveau-là ! Moi aussi j’aimerais que ce soit donné avec orchestre. Mais la partition de Liszt est d’une exceptionnelle qualité. C’est de la qualité de toute sa musique pour piano.
Vous avez rétabli, bien sûr, le texte original, qui avait été modifié par la censure. Il avait fallu, par exemple, supprimer le mot « prêtre » partout où il se trouvait. Et on se rend compte à quel point le livret est audacieux pour l’époque.
Même aujourd’hui, je dois dire que les chanteurs disent : « Est-ce qu’on ne pourrait pas supprimer quelques « prêtre » ?. Maintenant qu’on sait… et que voilà… c’est fait… ça devient absolument sans intérêt. »
Je n’en suis pas certaine…Quel audace en tout cas ! C’est un prêtre fou de désir et qui est le personnage principal. Ca m’a frappée : à quel point Frollo, dans le livret, est le personnage principal, ce qui n’est pas le cas dans le roman où il n’est qu’un des personnages principaux. Ca aussi, c’est une originalité… puisqu’en plus, c’est la basse, donc, qui a le rôle central. En principe, à l’époque, c’est plutôt le ténor.
Nous on ne l’a pas vraiment ressenti comme ça. Non…Esmeralda, Phoebus, Frollo, Quasimodo ont des rôles, me semble-t-il, assez égaux…
Vous trouvez ? Pour ma part j’ai eu vraiment l’impression que c’était vraiment Frollo qui chantait le plus, qui était au centre…
Ce qui peut donner cette impression, c’est que le deuxième acte est quasiment inexistant dans cette version… et que Matthieu Lécroart occupe le terrain !
Ce qui m’a paru étonnant, aussi, c’est de donner à Quasimodo une voix de ténor…
Non, ça, je crois que c’était assez habituel à l’époque, même pour un personnage de ce type.
J’ai regretté la suppression de la scène du pilori. C’est une scène très importante. Les gens oublient souvent que Quasimodo tombe amoureux d’Esmeralda parce qu’elle a eu pitié de lui. Pas, comme les autres, parce qu’elle est belle…
Oui. C’est d’ailleurs très beau dans le roman, ce qui naît entre eux… Il est, dans le roman, en tout cas, le contraire de Phoebus. Puisque Phoebus est idéalisé dans le livret…
Il paraît que c’était une idée de Berlioz qui pensait que la musique ne pouvait pas donner un équivalent de la « sotte suffisance qui fait le fond de ce soldat capitaine ».
A l’époque, en effet, ce n’était pas possible. Un ténor n’était pas un bellâtre… La musique qu’on écrivait pour l’opéra ne pouvait pas refléter un bellâtre…Est-ce que ce bellâtre, ce personnage de convention existe chez Verdi ?
Oui, un peu chez le duc de Mantoue (François 1er dans Le roi s’amuse). Mais il est vrai que Verdi adoucit le personnage : il a son grand air où il dit être amoureux de Gilda.
Le personnage du libertin, on l’a déjà dans Don Giovanni. Mais il n’est pas du tout ridicule. En revanche, Phoebus, aristocrate mal élevé qui se comporte comme un soudard dans le salon de Mme de Gondelaurier, c’est impossible à faire passer dans un opéra des années 1830… Mais ce livret, quoi qu’on en dise, est tout de même très intéressant. Je le trouve très plaisant.
Le travail sur le rythme est en effet très intéressant. On sent le métier de Hugo…
Les vers sont beaux !
C’est la fin qui est peu bâclée… Là encore, il n’a pas pu faire ce qu’il voulait puisqu’il avait prévu un dénouement beaucoup plus proche du roman.
Oui. Et c’est le personnage de Quasimodo qui en a souffert. Et on se demande même pourquoi il a un air et pourquoi il est là, à tel point il n’a pas sa fin…
Est-ce que la représentation de Besançon a suscité beaucoup d’échos, dans la presse ?
Dans La Lettre du Musicien… Et Gérard Condé dans Le Monde de la musique. Il y a eu un mot misogyne dans L’Est Républicain…pour dire que Hugo était mauvais et Louise Bertin aussi…
Est-ce vous qui avez décidé du choix des interprètes ? Et selon quels critères ?
Je les aime beaucoup car je les connais très bien. Ce sont des gens avec qui je travaille régulièrement dans le cadre de l’Atelier Lyrique de Franche Comté qui a coproduit cette version de La Esmeralda. Tous ces chanteurs étaient très impressionnés de reprendre les rôles de Falcon, Levasseur, Nourrit et Massol. Falcon en particulier était soprano dramatique et Anne Marchand (Esmeralda) chante des rôles plus lyriques.
Elle a une voix magnifique…qui allie la beauté à la puissance…
Elle a une très jolie voix. Et puis elle voulait vraiment ce rôle. Elle a pris des cours de flamenco pour se mettre dans la peau du rôle et s’est découvert des talents de danseuse. Sur le plan technique, il y a certaines indications de forte dans le medium, qui ne sont pas habituelles pour une soprano, qui aboutissent à quelque chose de très dramatique dans la voix, de très métallique… ce qui ne correspond pas forcément à sa vocalité. Mais Anne a su mettre ce rôle dans sa voix. On a eu beaucoup de mal à trouver Phoebus et je crois qu’on a eu beaucoup de chance, avec Andrew Forbes Lane, de trouver ce type de voix… Je regrette qu’il ne soit pas français !
Son français n’était pas si mal…On entendait son accent mais on le comprenait…
Il a une bonne diction, en anglais en particulier, et il a la voix juste et la technique juste pour ce rôle. Il avait le mérite, Andrew, à la fois scéniquement et vocalement, d’avoir à la fois le côté macho, agressif de Phoebus, tout en ayant une voix très très légère. (…)
Frollo était presque trop gentil…
Oui.
Cela dit, Frollo est un personnage très complexe. Il est noirci dans le livret, par rapport au roman. Donc ce n’était peut-être pas si mal qu’il ne soit pas si méchant que ça…
Oui, c’est ce que Matthieu Lécroart a essayé de faire …Il a voulu faire un Frollo assez perturbé, plus émouvant que caricatural.
J’ai beaucoup aimé Quasimodo, son fameux air des cloches, qui mêle le pathétique à un lyrisme énergique et joyeux, c’était un des plus beaux moments…
J’ai souvent travaillé avec Christophe Crapez qui est vraiment fait pour le rôle.
Il y a un autre point sur lequel je ne suis pas d’accord avec la mise en scène : c’est quand Frollo pelote Esmeralda, qui se laisse faire, bien qu’avec dégoût, dans la prison. Je crois que Frollo ne se permettrait pas de telles privautés. D’abord parce que c’est l’homme des extrêmes : il est plutôt du genre à se jeter sur elle et à la violer. Ensuite parce qu’Esmeralda ne se laisserait pas faire si facilement. Elle le repousse constamment avec horreur, dans le roman et dans le livret…
Je crois que Jacques a voulu montrer un côté petite fille du personnage…
Cet aspect-là est très réussi quand elle arrive sur scène, encadrée par deux soldats, dans un tablier, toute frêle et ses cheveux décoiffés… elle est petite fille et petit garçon à la fois. Elle a presque un côté Gavroche.
Pour en revenir à la scène de la prison : c’était aussi en rapport avec la musique. Il y a tout à coup une sorte de rupture musicale et un passage à un mouvement lent. On avait pensé, à un moment, la montrer comme hypnotisée, fascinée par un serpent.
Est-ce que vous allez la jouer dans d’autres lieux, cette Esmeralda ?
Il paraît…C’est une chose humaine, donc on ne sait pas très bien encore qui va faire quoi… en particulier, il faudrait calculer un prix de revient… Pour une reprise, il faut au moins une semaine de répétitions… de nouveaux figurants…Il faut beaucoup se battre pour faire accepter, pour faire entendre, des opéras comme celui-ci, qui ne sont pas connus…c’est très difficile…Pourtant, je répète que ce livret est tout de même un livret exceptionnel. Vous trouvez que ce n’est pas aussi bien que le roman… évidemment… mais il a eu le courage de fermer le roman. La fin est bâclée… d’accord… mais le contraste des scènes, le contraste musical que ça permet, la qualité de l’enchaînement, la psychologie des personnages toujours juste…je vous assure… on a rarement affaire à des livrets d’une telle qualité…
Une musique de qualité et un livret exceptionnel… On pourrait conclure sur ces mots en vous souhaitant de pouvoir faire entendre ailleurs cette Esmeralda. Lançons un appel aux directeurs de théâtre…
(propos recueillis par Danièle Gasiglia-Laster)